Les "never events" : une fausse bonne idée en sécurité du patient

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Cela fait déjà 22 ans que le concept de "never events" (NE), les "événements indésirables qu’on ne devrait jamais voir", a été introduit à grand bruit, comme un défi absolument prioritaire pour la sécurité du patient. Avec le recul, son succès reste pourtant très modeste.

Auteur : le Pr René AMALBERTI, Docteur en psychologie des processus cognitifs, ancien conseiller HAS / MAJ : 03/09/2024

"Never events" : qu’est-ce que c’est ?

Il s’agissait de supprimer les erreurs/événements indésirables graves (EIG) les plus totalement inacceptables par la société et les patients. 

On y retrouve :

  • des erreurs de patients, 
  • des erreurs de côté
  • des oublis de matériels chirurgicaux, 
  • des fautes grossières d’asepsie sur la pose de cathéters centraux, 
  • sans oublier les escarres stades 3 et 4.
     

Beaucoup de dispositifs et réglementations ont été promulgués pour atteindre ces objectifs de suppression des "never events". On pense bien sûr en premier lieu à l’introduction de la check-list chirurgicale, mais aussi aux très nombreuses recommandations relatives à la pose des cathéters centraux et aux soins des escarres.

Le nombre de "never events" n’a jamais vraiment baissé

Une définition plus précise et des recommandations plus réalistes sont nécessaires pour avoir un succès supérieur à celui constaté.

Les articles se multiplient pour faire le constat (Zazlow, 2024) d’un certain nombre d’inconvénients :

  • Une définition "slogan" qui reste floue dans son contenu : la liste des Nerver Events a été complétée par différents groupes de pression au gré du temps, des spécialités et de la compréhension de chacun du terme "never events", sans unification mondiale.
  • Ces événements, si graves soient-ils, sont loin d’être tous évitables, et encore plus loin d’être vraiment de bons indicateurs de la sécurité globale du patient.
  • Le terme "jamais" (never) a introduit une connotation juridique et de responsabilité individuelle des professionnels, quasi de dimension pénale, à nulle autre pareille pour les autres EIG et complications. 
  • La promesse d’évitabilité associée au "jamais" du "never events" varie grandement selon les groupes de pression. L’évaluation objective de l’évitabilité est loin d’être retenue par les enquêtes pour tous les Never Events dans la littérature ; elle est souvent de l’ordre de 60 %, à peine supérieure à la majorité des autres EIG. D’ailleurs certains des promoteurs voient dans le terme Never Event juste un slogan utile pour progresser, acceptant l’idée d’un objectif de simple réduction de fréquence, quand d’autres pensent au contraire qu’il s’agit de vrais cas particuliers, tous totalement évitables. Du coup, on retrouve un peu de tout dans la littérature sur les NE, de l’erreur de patient à l’escarre niveau 3, en passant par la perforation accidentelle du colon en coloscopie…
  • L’introduction du signalement des "presqu'accidents", par exemple la survenue d’une presque erreur de patient évitée à la dernière barrière, a encore plus créé la confusion sur les "never event". Elle a amené à déclarer obligatoirement ces presqu'accidents (Amalberti, 2011), au risque de leur conférer un statut d’indicateurs de problèmes de sécurité du patient, y compris dans les processus de certifications, voire un objet de malus financier dans les procédures de paiement à la performance (aux États-Unis). Autant dire que ces presqu'accidents ne sont presque jamais signalés…

Peut-on faire mieux ?

Certains auteurs doutent déjà de cette possibilité (Szymczak, 2024). Le terme "never events" est de plus en plus galvaudé, et peut même conduire à l’inverse de ce qui est souhaité, avec des effets néfastes pour la sécurité. 

La raison essentielle de ces doutes reste le caractère avant tout social, émotionnel, connoté de moralité et culture, prêté à une vision de sens commun de la définition de l’erreur médicale, particulièrement les "never events", souvent éloignée de toute préoccupation scientifique rationnelle.

On peut y ajouter trois critiques de fond : 

  • La rhétorique du "jamais" s’est très vite heurtée au constat que beaucoup de ces erreurs dites "never events" ne sont pas vraiment évitables, mais culpabilisent nettement plus les acteurs médicaux compte tenu de l’affichage public. On a choisi le terme "jamais" pour son impact moral et émotionnel, mais sans démonstration scientifique de la pertinence donnée à cette priorité au détriment d’autres priorités, particulièrement en matière de fréquence, gravité et conséquences réelles de ces événements comparés aux milliers d’autres EIG. Les stratégies de malus financier appliquées aux déclarations de "never events", notamment aux États-Unis, ont encore exacerbé les attitudes radicales sur ces rares problèmes, devenus forcément plus masqués, moins signalés, voire associés à des choix de patients moins à risques.
  • Ces EIG "never events" ne diminuent pas, mais restent rares. Ils sont de ce fait plutôt de mauvais indicateurs de la sécurité du patient, de son aggravation ou de son amélioration. L’hétérogénéité des problèmes mis sous le même vocable de Never Events (escarres, erreur de patient, corps étranger oublié, infection, complications chirurgicales) ne renvoie aucunement à une unicité d’action, mais plutôt à des approches totalement différentes, contexte dépendant selon la cible. 
  • L’objectif des différents acteurs médicaux/patients/assureurs/régulateurs/associations qui poussent aux actions sur la réduction des "never events" apparait sensiblement différent de l’un à l’autre, et pas toujours avoué clairement. Les autorités ont souvent pensé faire un exemple de ces "never events" qui améliorerait en retour globalement la sécurité du patient, en facilitant le choix des patients et en motivant l’engagement au suivi des bonnes pratiques par les professionnels par la transparence et le bruit autour de ces problèmes.
    Ce fut aussi une occasion de brandir des étendards mondiaux comme la check-list chirurgicale, pour montrer publiquement la volonté des autorités - et des professionnels - de faire progresser la sécurité. De leur côté, assureurs et avocats ont rapidement compris que ces Nerver Events étaient des EIG quasiment toujours à charge des professionnels et institutions, avec des coûts de compensation bien plus élevés que pour les autres EIG. Enfin, les patients et la société, particulièrement les médias, sont de leur côté souvent restés sur le côté simpliste, émotionnel et irrecevable de ce type de problème. Ils n’ont pas cherché à en comprendre la source et encore moins à peser la grande relativité du poids de ces "never events" dans les risques auxquels ils exposent et les progrès à faire en sécurité du patient (par leur fréquence rare, et même objectivement par leurs conséquences souvent mieux maîtrisées que pour bien d’autres EIG). Bref, selon beaucoup d’auteurs, les "never events" ont souvent servi à détourner l’attention des vrais problèmes, bien plus complexes, bien plus fréquents, et bien plus graves.

C’est un bel exemple d’une bonne et simple idée (de sens commun) qui n’aboutit pas au résultat espéré pour l’amélioration globale de la sécurité du patient.